Mesdames et messieurs les parlementaires,
Quelques jours à peine après son adoption en Conseil des Ministres le 18 juin dernier, le projet de loi «Création et Internet » présenté par Christine Albanel, Ministre de la Culture et de la Communication, a déjà suscité de nombreuses réactions, élogieuses pour certains, scandalisées pour d’autres.
Nous ne voulons pas rester plus longtemps éloignés de ce débat qui s’ouvre et qu’il vous appartiendra de faire vivre au Parlement. Nous ne le voulons pas car la résurgence des antagonismes, des polémiques et des divisions n’est pas à la hauteur de l’enjeu et de la nécessité d’adapter le financement de la création, la rémunération des auteurs et la diffusion de la culture à l’ère numérique. Nous ne le voulons pas car personne, ni le public, ni les créateurs, n’a à gagner d’un statu-quo qui serait le signe d’une impuissance, pour ne pas dire d’un renoncement à concilier la liberté de création, le droit des créateurs et la volonté du public d’accéder largement à la culture. Nous ne le voulons pas non plus car il est mensonger de laisser croire qu’aucun enseignement n’a été tiré des débats difficiles qui avaient accompagné le vote de la DADVSI en 2006.
Que n’a-t-on entendu déjà sur ce projet de loi ? Il n’offrirait d’autres perspectives que la « mort sociale » pour ceux qui verraient leur connexion à Internet suspendu temporairement, serait le symbole d’un combat rétrograde et conservateur et finalement serait même LIBERTICIDE !
Les grands mots sont lâchés. Mais de quoi s’agit-il ? Est-il liberticide de soutenir un texte qui se propose de substituer aux peines de prison actuellement prévues des messages d’avertissement et éventuellement une suspension d’abonnement aux internautes qui téléchargent illégalement nos oeuvres ? Est-il liberticide de vouloir concilier la liberté des créateurs avec celles du public ? Est-il liberticide que de vouloir limiter des pratiques qui malmènent le droit d’auteur et qui violent le droit moral des créateurs ? Est-il liberticide que de vouloir préserver le droit pour les auteurs de continuer à faire des films ?
Nous ne pouvons évidemment qu’être révoltés devant une telle analyse. Elle ne correspond d’ailleurs ni à l’équilibre et aux orientations des accords de l’Elysée, que ce projet de loi propose de retranscrire et qui furent signés sous l’égide de Denis Olivennes et en présence du Président de la République en novembre 2007, par 45 organisations et entreprises représentantes des professionnels de l’audiovisuel, du cinéma, de la musique et des fournisseurs d’accès à Internet ni aux combats que les cinéastes ont toujours menés pour défendre la culture et son accès au plus grand nombre.
En défendant ce projet de loi sans réserve, nous ne nous sommes pas transformés en défenseurs acharnés de quelque corporatisme ou de quelques majors – d’ailleurs inexistantes dans le cinéma français - incapables de faire évoluer un modèle économique obsolescent mais nous nous situons résolument dans la continuité de nos combats, en France comme à l’international, pour que l’exception et la diversité culturelles ne soient pas que de jolis mots à la fin de discours ministériels ou présidentiels.
La vitalité et le dynamisme de notre création a un prix que notre pays a toujours su défendre en adaptant notamment le financement de la création et la rémunération des auteurs aux évolutions technologiques. En l’occurrence, les efforts demandés aux internautes dans ce projet de loi et notamment la nécessité de faire preuve de vigilance dans l’utilisation de leur abonnement Internet ne constitue pas un prix exorbitant. Au contraire, ils reposent sur une pédagogie active qui s’impose comme une alternative crédible aux peines fortes aujourd’hui encourues (3 ans de prison et 300.000€ d’amendes). Ces efforts n’ont en revanche pas pour contrepartie – et cela est heureux- l’abaissement des libertés individuelles et publiques, qui resteront préservées de tout filtrage généralisé des réseaux et seront garanties, non seulement par la Haute Autorité indépendante qui sera créée, mais également par la possibilité d’un recours devant le juge à l’encontre de toute décision qu’elle prendra. C’est là un engagement fort et une nécessité pour le respect des libertés publiques qu’on ne retrouve dans aucun des autres pays qui ont travaillé à la mise en place d’une réponse graduée. Ces efforts ne sont pas enfin unilatéraux et déséquilibrés car les ayants droit du cinéma se sont engagés à entamer rapidement des négociations pour réformer la chronologie des médias et permettre la mise à disposition des films plus tôt après leur sortie en salles. Les amateurs de cinéma peuvent compter sur notre détermination à accélérer le calendrier prévu afin de mettre les nouvelles technologies au service de la plus large diffusion des oeuvres conforme à l’intérêt de tous.
Face à cette nouvelle proposition adaptée et graduée, nous sommes frappés par le mutisme de ceux qui, pour légaliser le pillage des oeuvres, ont ressorti le modèle de la licence globale pour la musique mais qui, en revanche, n’ont aucune proposition concrète et alternative au financement actuel des films et à la rémunération des cinéastes.
A ce mutisme, nous souhaitons opposer le volontarisme et la justesse d’une loi équilibrée qui ne dresse pas de barricades entre des créateurs supposés incapables de se projeter dans l’avenir numérique et des internautes forcément soucieux de l’intérêt général et de la circulation des oeuvres.
Parce que nous ne faisons pas partie de ceux qui préfèrent s’en remettre au fatalisme et à l’évolution inéluctable des pratiques et des technologies, nous ne sommes pas prêts à sacrifier à la mode de la gratuité de la culture, qui reste une escroquerie intellectuelle, et à nous résoudre à voir les capacités de création de notre pays battues en brèche et laminées.
Votre responsabilité, Mesdames et messieurs les parlementaires, sera donc grande à l’automne prochain. Entre une ère numérique sans règles qui abdique tout soutien à la culture et une société numérique qui préserve les bases du financement de la création et la rémunération des créateurs sans rien renier des libertés individuelles, nous faisons sans hésitation ce dernier choix. Nous espérons que vous vous rallierez également, avec la communauté des cinéastes et des auteurs, au panache d’une loi juste, ambitieuse et adaptée aux enjeux de demain.
Signataires :
Michel Andrieu, Cinéaste
Jean-Jacques Annaud, Cinéaste
Jean Becker, Cinéaste
Jean-Jacques Beineix, Cinéaste
Véra Belmont, Cinéaste
Bertrand Blier, Cinéaste
Rachid Bouchareb, Cinéaste
Patrick Bouchitey, Cinéaste
Michel Boujenah, Cinéaste
Paul Boujenah, Cinéaste
Patrick Braoudé, Cinéaste
Catherine Breillat, Cinéaste
Christian Carion, Cinéaste
Alain Corneau, Cinéaste
Dante Desarthe, Cinéaste
Michel Deville, Cinéaste
Bertrand van Effenterre, Cinéaste
Jacques Fansten, Cinéaste
Costa Gavras, Cinéaste
Laurent Heynemann, Cinéaste
Jean-Loup Hubert, Cinéaste
Pierre Jolivet, Cinéaste
Gérard Jugnot, Cinéaste
Gérard Krawczyk, Cinéaste
Jeanne Labrune, Cinéaste
Georges Lautner, Cinéaste
Patrice Leconte, Cinéaste
Claude Lelouch, Cinéaste
Philippe Lioret, Cinéaste
Jean Marboeuf, Cinéaste
Olivier Marchal, Cinéaste
Isabelle Mergault, Cinéaste
Radu Mihaileanu, Cinéaste
Claude Miller, Cinéaste
Claude Pinoteau, Cinéaste
Jean-Marie Poiré, Cinéaste
Jean-Paul Rappeneau, Cinéaste
Jean-Paul Salomé, Cinéaste
Pierre Salvadori, Cinéaste
Bertrand Tavernier, Cinéaste
Pascal Thomas, Cinéaste
Christian Vincent, Cinéaste
Francis Veber, Cinéaste
Source :
Le site du Monde
De quoi (ré)ouvrir le débat en somme
